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Fleurs de marais
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25 mars 2014

Le bougnat

2014_03_24a
Crédit photos : copy right oponseel, impressions blanc cassé

Si il y a bien une institution culinaire touristique à Paris, c'est bien Chartier. Passer la porte tournante, c'est comme sauter à pieds joints dans le Paris du début du XXème siècle. Rien n'a bougé. Les décors, les globes, les portes bagages, les boiseries, les serveurs. Bien sûr les serveurs. Ils semblent avoir toujours été là avec leur gilet noir, leur chemise blanche et leur noeud pap', uniforme d'un autre temps. Acteurs et témoins de l'endroit, ils courent, ils notent, ils griffonnent sur la nappe en papier, ils servent et ils ronchonnent aussi.

La dernière fois où j'y suis allée, nous avons eu la chance d'avoir un beau spécimen, bien authentique, à la hauteur de la réputation de leur corporation parisienne. Un vrai bonheur. On a beau savoir que dans ce genre d'endroit plutôt folklo il ne faut pas s'attendre à de la grande gastronomie, on espère tout de même un minimum amabilité côté service. Et ce n'est pas parce qu'on ne laisse pas un rein en première hypothèque pour honorer l'addition qu'il faut pour autant dédaigner le client. Ce qu'il aurait su, le vôtre, s'il ne s'était pas frotté à Mélo. Ouvrez la parenthèse - Mélo, 1m30 les bras levés, une goule d'empeigne, têtue et parisienne - Fermez la parenthèse. Pourtant, elle ne lui demandait pas grand chose. Juste un peu de gros sel pour accompagner son foie gras lorsqu'il passait en courant d'air à côté de votre table. Sans s'arrêter, il lui a répondu qu'il n'en avait pas. Lors de son retour, toujours au pas de course, elle lui fait remarquer que la dernière fois qu'elle en avait commandé, on lui en avait trouvé. La réponse tombe alors qu'il repasse encore avec le feu aux fesses : pas chez Chartier mademoiselle trouve-t-il le temps de lâcher. Ah ah ! Il ne la connaît pas la Mélo. Elle n'en démordra pas. Le steak / frites est avalé et le dessert commandé qu'ils en sont toujours à je vous dis qu'si / non / si / pas ici / si, je vous dis. Et puis au moment du café, je ne sais pas ce qu'il s'est passé, le voilà qu'il se radoucit au point qu'à l'addition, il prend le temps de poser les deux poings sur la table, de tomber le masque et de papoter un peu. Beaucoup. Passionnément. A la folie. Il se met à vous raconter sa vie. Comment il a quitté, tout jeunot, sa province pour monter à Paris. Car s'il est venu se perdre dans la capitale, ce n'est pas pour faire carrière dans une grande brasserie légendaire. Oh non. C'est uniquement pour retrouver son grand amour. La femme de sa vie. Dalida. Il nous raconta comment son père avait foulé son rêve du pied par ses ricanements. Comment il est arrivé néanmoins à Montmartre la tête pleine d'espoir. Comment, le coeur battant, il a osé aller frapper à sa porte. Comment, de l'autre côté du battant, elle l'a gentiment sermonné en se faisant passer pour la femme de ménage. Il s'est fait une raison. Aujourd'hui encore, ses yeux pétillent lorsqu'il évoque ces souvenirs, trahissant ses sentiments. Du pas de course au coup de feu à la pause amicale à table lorsque le lieu s'est désertifié, le serveur hautain parisien redevient le gentil provincial monté à la capital. Comme quoi, tout peut arriver...

2014_03_24b

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